Friday, June 10, 2005

SOPHISTICATION POÉTIQUE

Sudhindranath Dutta

Sudhindranath Dutta(1901 - 1960), célèbre poète moderne des années trente, naquit à Calcutta et grandit dans une ambiance culturelle très vivante. Son père Hirendranath Dutta était un avocat renommé du palais de justice de Calcutta et son oncle Amarnath Dutta était un tout grand acteur. Sudhindranath suivit sans les compléter, les cours de licence en anglais puis des cours de droit, à l’Université de Calcutta. Dans son enfance, il vécut longtemps à Bénarès ne connaissant guère sa langue maternelle qu’il dut vraiment étudier, ainsi que le français et l’allemand, plus tard dans sa jeunesse à l’âge de trente ans. Il commença sa carrière poétique en publiant ‘Tanwi’ (Svelte silhouette,1930), puis, ‘Arkestra’ (Orchestre, 1935), ‘Krandasi’ (Âme sensible, 1937), ‘Uttarphalguni’ (Étoile de fin de Printemps,1940), ‘Sanbarta’ (Nuage d’Apocalypse,1953), ‘Pratidhwani’ (Écho,1954), et ‘Dashami’ (Dernier jour du festival d’automne,1966).
Sudhindranath, compagnon de voyage occasionnel de Tagore, était loin de l’être dans le domaine littéraire. Dégoûté du romantisme contemporain il est tenté par la présentation symbolique et la forme classique de Baudelaire. Il partage aussi son attrait pour la sensualité, son impersonnalité, sa contemporanéité et son perfectionnisme dans la forme. On trouve aussi dans ses œuvres l’influence de T. S. Eliot et Mallarmé. Abu Syeed Ayyub écrivit en 1968 que, dans la poésie bengalie, le plus influent poète de la décade passée fût Baudelaire tout comme Eliot le fût de la première décade de ‘Porichay’ (Présentation, revue bengalie). La période ‘Porichay’ coïncide avec la période de Sudhindranath Dutta. Eliot et Mallarmé représentent une forme mûrie du baudelairisme dont l’influence sur Sudhindranath se déduit aisément.

Tout d’abord on retrouve dans son œuvre une idée baudelairienne de l’amour. Ainsi :
« Rikta mor, nagnata mor, dainya dekhi,
Urbashi aj paliyechhe ki ?
Sakali aj lupta moder chittadeshe
Premer chitavasma shese.
Drista tarar ankhir jhilik aj gagane,
Tai bali aj bhanga galay, kator sure,
Ghumao sakhi, ghumao; usa ekhano hay, anek dure.»
(Urbasi :La nymphe séductrice; s.5,v.1-8)
(Voyant mon dénuement, ma nudité et ma misère Urbasi, la séductrice nymphe céleste se serait- elle enfuie? Aujourd’hui tout a disparu de nos cœurs avec les dernières cendres du bûcher funéraire de l’amour. Aujourd’hui, de ma fenêtre ouverte j’ai vu dans le ciel briller le regard impudent des étoiles. Aussi dis-je d’une voix cassée, ‘Dors, mon amie, dors, l’aurore, hélas, est encore très loin’).
....
Comme Baudelaire, il dépeint aussi avec force son angoisse, son spleen ...

Sudhindranath, avec un grand talent poétique, est parvenu à préserver pour la littérature bengalie, toute la richesse de Baudelaire.

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Cet essai de 11 pages a 2019 mots et 10641 caractères ou l'équivalant de 16774 caractères si l'on compte les écarts comme caractères. Pour publier l'essai dans son entièreté la permission de l'auteur et le versement des droits sont requis: Contacter : dr.gautampaul@gmail.com
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1 Comments:

Blogger Raphaël Zacharie de Izarra said...

DEUX TEXTES POUR SE REVEILLER

1 - L'EVEIL

L'homme étendu à même le sol contemple la voûte étoilée, l'oeil noyé dans l'infini. Il sait le spectacle ultime. Tout à sa béatitude, il se laisse aller au vertige avec des sourires doux et désespérés. Le sentiment d'absolu qu'il ressent face aux étoiles éparpillées dans la nue est à la hauteur de sa détresse. A la vue des astres scintillant dans la nuit, une ivresse inédite l'envahit.

Résigné, il admire les étoiles, n'ayant plus rien d'autre à faire. Comme s'il attendait une porte ouvrant sur quelque éternité.

Depuis la boue séchée où il est allongé, la beauté du monde lui apparaît magistrale, suprême. Inénarrable. Cet homme a conscience d'être. Aussi s'attarde-t-il sur le ciel nocturne, l'âme de plus en plus légère, le corps de moins en moins présent. Puis il tourne la tête sur le côté. Sur le tas d'immondices où il agonise dans l'indifférence générale, il distingue son bras squelettique, sa main comme une poignée d'os, son flanc décharné, sa peau lépreuse. Déconnecté de ses étoiles, il reprend immédiatement contact avec l'abjecte réalité. Alors il décide ne ne plus voir que le ciel : dans un geste dérisoire et pathétique il détourne le regard du sol et le dirige définitivement vers le cosmos, le corps comme un haillon, l'âme comme une flamme.

C'est un sans-nom de Calcutta né dans la misère, fait pour la misère et crevant dans la misère. A quelle époque sommes-nous ? Quel âge a ce malheureux ? Peu importe ! C'est une ombre qui gît dans un coin de l'enfer terrestre parmi ses semblables passifs, sourds à sa souffrance. Cet homme qui a toujours connu la misère, le malheur, la faim, le désespoir accède ce soir à la beauté de manière fulgurante, la sensibilité exacerbée par l'approche de la mort. Le ventre vide, le corps malade, le moribond s'extasie sans bruit sur le mystère de cet univers où il a enduré son long calvaire de miséreux. Venu sur terre pour souffrir, il interroge longuement le ciel sur sa terrible destinée, magnifiquement réconforté par les lumières de la nuit cependant.

Puis dans un râle d'agonie pitoyable, atroce et presque insignifiant tant le monde qui l'entoure est insensible à son sort, l'inconnu au corps nu rend l'âme les yeux fixés sur le firmament.

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2 - MISERE

(Voici une vision issue des flâneries étranges de ma pensée. Précisons que la rue où j'habite consiste en un escalier antique, dans le quartier historique du Vieux-Mans, sur des remparts gallo-romains.)

Un matin en sortant de chez moi, mon univers changea inexplicablement.

En ouvrant la porte donnant sur l'escalier public, je passai de l'ombre feutrée à la lumière brutale. Le choc. Dans la rue, un soleil cru, inhabituel. Chaleur suffocante, atmosphère dantesque. Partout, des maisons vétustes, délabrées, tristes, aux fenêtres cassées, opaques, aux briques noircies par la pollution, la crasse.

L'escalier huppé était devenu de larges marches anonymes, brisées par endroits, jonchées de détritus, couvertes de poussière. Sans aucun intérêt architectural. D'un coup je conçus tout ce que sous-tendait ce lieu terne : le règne de la misère.

De cet escalier émanait une tristesse infinie, un désespoir affreux, une odeur de mort. Image fidèle d'un quartier calamiteux de Calcutta au dix-neuvième siècle. Le Mans était devenue une atroce Calcutta.

(Je parle bien sûr non pas de la flatteuse Calcutta, refuge des Arts et des Lettres, mais de l'autre, de l'ignoble Calcutta, asile d'une extrême, révoltante misère : célèbre image stéréotypée renvoyée au monde entier.)

Décor désespérant : là, l'électricité n'existait pas, n'avait jamais existé. Ni l'élémentaire confort citadin. J'étais dans une ville sans voitures, sans magasins, sans néons, sans FNAC, sans panneaux publicitaires, sans plus rien de ce qui était mes repères habituels. Tout avait disparu. C'était ça ma ville.

En haut de l'escalier, un spectre : un enfant portant des lambeaux de vêtements. Crasseux, pouilleux, avec un corps famélique... Misérable mais encore souriant. Un autre petit être décharné le suivait. Ils se mirent à jouer avec des cailloux, des morceaux de bois sales. En bas des marches, un vieux mendiant en train de mourir dans une banale indifférence. Des silhouettes en haillons passaient devant lui. A ses pieds, une sébile de bois. Vide.

Misère.

J'explorai la ville. Au lieu de la place centrale et ses beaux édifices, ses lumières, ses boutiques de luxe, ses halls nets, au lieu de tout cela, une cour des Miracles, un mouroir à ciel ouvert, une assemblée de lépreux, d'éclopés, de mort-vivants... Des gueux fantomatiques errant sous une insupportable chaleur, dans des odeurs incertaines. Charognes, tanneries, effluves de cuisine immonde ? Impossible de savoir.

Plus loin dans la rue Gambetta je passai devant une boulangerie sordide, un trou à rat. Je devinais tout à la simple vue des choses : pain fade au goût de sciure. Le seul pain qu'on pût manger dans cette ville. Avec des pommes aigres qu'il fallait cueillir sur les bords nauséeux de la Sarthe. Le pain et les pommes sauvages, uniques aliments de ce monde... Et ce pain, je ne pouvais le manger : trop pauvre je me découvrais. Cela dit, je savais confusément qu'on me laisserai prendre de ce pain, invendu, devenu dur comme du bois.

Misère. Misère. Misère.

Condamné à vivre dans ce monde pour le reste de ma vie, je regardais en face l'insupportable vérité. C'était inéluctable, irréversible, terrible comme un verdict tombé du Ciel. Impossible d'échapper au destin. Je devais me résoudre au sort, survenu du jour au lendemain sans aucune explication.

Accepter ma nouvelle condition était la seule chose concevable, conscient que le monde laissé derrière moi était définitivement perdu. Plus d'Internet, plus d'électricité, plus d'aliments variés, plus jamais. Plus de boissons fraîches diverses, ni de lit confortable, ni de sécurité... Plus rien de tout cela. Il me fallait désormais vivre comme un mendiant de Calcutta du dix-neuvième siècle dans un monde d'ordures, de fange, de faim, d'absolu dénuement.

Je mesurais l'horrible détresse de ma situation. Des millions d'hommes ayant vécu une semblable misère défilaient en mon esprit. J'étais devenu leur frère d'infortune. A la différence qu'eux n'avaient connu que ça toute leur vie. Moi, j'expérimentais l'état extrême de la pauvreté, après avoir connu l'état extrême de la richesse. C'était d'autant plus cruel que rien ne m'avait préparé à ce mystérieux bouleversement de mon existence : en ouvrant la porte de chez moi, j'étais passé de manière parfaitement incompréhensible d'un monde d'abondance, de nantis repus à un monde d'affamés, de malheur.

J'étais en train de vivre ce qu'avaient vécu ces millions de déshérités. La misère n'était plus une abstraction. J'étais là, à la place de ceux qui l'avaient vécu dans leur corps, leur âme. La misère, la vraie, l'authentique, celle endurée par des hommes de ce monde, de cette Terre, de cette Humanité, la misère éprouvée dans leur chair, dans leur vie quotidienne, la misère maudite...

Cette misère-là, je la vivais à cet instant et pour toujours, sans espoir de retour. Je la vivais dans cette ville qui était la mienne, dans cette cité décrépite qui s'appelait Le Mans, qui était concrète, pleine de crasse, de grisaille, de détresse, qui n'était ni un rêve ni une conception virtuelle, mais une ville d'hommes.

J'étais en enfer.

Textes de Raphaël Zacharie de Izarra
2, Escalier de la Grande Poterne
72000 Le Mans
FRANCE
Tél : 02 43 80 42 98
raphael.de-izarra@wanadoo.fr

3:15 PM  

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