Sunday, June 05, 2005

LES POÈTES DE GAUCHE

Parmi les poètes de la quatrième décade quelques-uns seulement subirent l’influence de Baudelaire par l’intermédiaire de la littérature anglaise et des littératures étrangères, particulièrement cultivées dans les revues ‘Kabita’(Poésie), ‘Porichay’ (Présentation), ‘Pragati’(Progrès), etc.. Par ailleurs ceux qui subirent surtout l’influence du marxisme, fait remarquable, restèrent malgré tout imprégnés de baudelairisme.
Dans le premier groupe nous trouvons des poètes comme Kiran Sankar Sengupta, Birendra Chattopadhyay, Monindra Roy, Arun Mitra et quelques autres.


Kiran Sankar Sengupta

Kiran Sankar Sengupta en 1918, avant la partition, naquit à Dhaka, dans le Bangladesh. Il obtint sa licence en anglais à l’université de Dhaka vers les années quarante. Son talent poétique atteint sa maturité au contact des œuvres de Mohitlal Majumdar, Buddhadev Bose, Sudhindranath Dutta, Jibanananda Das et Samar Sen. Buddhadev Bose était son idéal littéraire et sa source d’inspiration, bien que, comme étudiant de littérature anglaise, il avait lu très attentivement Eliot et Yeats. Il publia ses poèmes dans ‘Kabita’ (Poésie), ‘Porichay’ (Présentation), ‘Desh’ (Pays natal), ‘Nabasakti’ (Force nouvelle), en 1936-1937. Ses recueils les plus célèbres sont ‘Swapna Kamana’(Désirs nés de rêves,1938), ‘Swar O Annanya Kabita’(Son de voix et autres poèmes,1953), ‘Din Japan’(Une Journée, 1962), 'Ai Ek Samay’(Ce Temps-ci, 1983), ‘Bristi Elo’(Alors vint la pluie, 1983), ‘Manus Jane’(Les Hommes savent,1985).
Dans son poème ‘Ami Nahi Swarger Debata’(Je ne suis pas un dieu céleste), on retrouve l’amour sensuel à la Baudelaire :
« Mor dui upabasi ankhi
Tomar urute khonje kamanar adbhut isara,
Taba jugma purna payodhar – Ki dharan kariyachhe tara ?
Sob katha balibar noy,
Amari rakter dheu ami kari bhoy. »
(Ami Nahi Swarger Debata, s.3 v.1-5)
(Mes deux yeux sortant de leur jeûne, cherchent dans tes cuisses l’étrange frisson du désir, tes deux seins sont pleins, que peuvent-ils bien contenir? Tout n’est pas à dire candidement! Je redoute les pulsions de mon sang).
De même aussi dans les poèmes ‘He Lalita Ferao Nayan’ (Hé Lalita, tourne tes yeux), ‘Shatru’ (Ennemi) etc..

Dans le poème ‘Swar’ (Son de voix), c’est un spleen de type Baudelairien que l’on trouve :
« Chup chap : Tik-tik gharir awaj
E ghare gumot :
Tas khele kaj nai aj.
‘Oindrilar ki khabar : Se chithir esechhe uttar?’
Tumi jano, ami jani, jane to sabai,
E jiban ki bhisan fanka. »
(Swar, s.2 v1-5)
(Pas de bruits, l’horloge fait tic-tac. Le chaleur de la chambre est étouffante. Inutile de vouloir jouer aux cartes aujourd’hui. Y-a-t’il des nouvelles d’Ondrila? La réponse à cette lettre est-elle venue? Tu sais, je sais, tous savent combien terriblement vide est cette vie).
Vers la fin de sa vie il tomba sous l’influence du marxisme révolutionnaire...



Birendra Chattopadhyay

Birendra Chattopadhyay (1920) naquit à Bejgaon, district de Bikrampur au Bangladesh, en 1920. Il passa toute son enfance à Calcutta. Il publia son premier recueil ‘Graha Chutya’(Tombé d’une planète) en 1944. Entre 1946 et 1968 parurent seize recueils de poèmes presque tous portants des traces de l’influence de Baudelaire.

Par exemple l’angoisse du spleen se retrouve dans le poème ‘Majhe Majhe Maltana Garhir Shabda’ (De temps en temps se fait entendre le bruit des camions à marchandise) du recueil ‘Graha Chutya’(Tombé d’une planète) de 1942:
« Majhe majhe maltana garhir sabda,
Kukurer kanna!
Tomar rater ghumer pashe amar ratri jagaran.
Adbhut ai prithibite jibandharan. »
(Majhe Majhe Maltana Garhir Shabda s.1,v.1-4)

(De temps en temps se font entendre le bruit des camions à marchandise, les gémissements des chiens! D’un côté ta nuit de sommeil, de l’autre ma nuit blanche. Etrange que vivre dans ce monde!).

Et dans le poème ‘Prabas’ (Exil) du recueil ‘Lakshindar’ (Le Héro) de 1956 :
« Tomra fire jao! Kothay Dwarakay,
Narir dehamade pashura lubdha:
Kothay shishukeo jyanta chhirhe khay
Ahata nekrhera, emni juddha!
Ki habe ghum theke se deshe hente fele?
Sudarsan ami diyechhi chhurhe fele.
Ekhane ai ghase hriday dhekhe niye
Ghuchabo dandher, joyer klanti— »
(Prabas, s.3,v.1-8)
(Retournez! C’est au pays de la paix (Dwaraka) que se vit une guerre où des êtres bestiaux sont grisés par le corps de la femme, des enfants sont déchirés et dévorés vivants par des loups blessés! A quoi bon sortir de son sommeil pour se mettre en marche vers un tel pays? Moi qui ai jeté loin de moi les armes du droit. Couvrant mon cœur des herbes d’ici, je me débarrasserai de la fatigue des conflits, des victoires).
Voir aussi sur le même sujet les poèmes ‘Manusher Mukh’ (Face humaine), ‘Kobe Khuni Bolechhilo...’(Quand l’assassin avait-il dit ...), ‘Dol O Purnima’ (Réjouissances du printemps et pleine lune), ‘Tomar Pataka Jare Dao : Nata Janu Besyar Prarthana’ (Au porte-drapeau : prière d’une putain à genoux) etc..

La conception baudelairienne de l’amour avec sa sensualité, sa monotonie et parfois sa beauté spirituelle se retrouve surtout dans les poèmes suivants : ‘Bhalobasar Shatrutatei’ (Haine d’amour), ‘Klanti, Klanti’ (Fatigue! ma fatigue!), ‘Keya Jharh’ (Tempête de fleurs blanches), ‘Sonar Chand Chhele’ ( Mon petit génie), ‘Samoy Jhariya Parhe’(Le Temps coule), ‘Phul Phutuk Tabai Basanta’ (Tout a fleuri, le printemps est là), ‘Alor Mukhoshe Tumi’(Ton visage rayonnant de beauté), ‘Udbastu’(Réfugié).
A titre d’exemple les vers suivants :
«Chheleti ekdin dekhechhilo, aj jake dekha jayna
Rupoli joytsnar made bhijano kono ek meyer sharir—
Snaner jaler mato se sharir theke alor mod garhiye parhchhe;
D,ekhe dekhe se mod dharlo, enameler kanabhangha patratate bhore
Shushe nite chailo ekti meyer gota sharir. »
(Sonar Chand Chhele : Mon petit génie; s.2,v.1-6 )
(Le garçon vit un jour, aujourd’hui invisible, un corps de jeune fille baignant dans le nectar d’une lune argentée —Ce nectar lumineux dégoulina de ce corps comme l’eau du bain; le dévorant des yeux, il se mit à se saoûler, remplissant sa coupe d’émail à l’oreille brisée, il désira sucer un corps entier de jeune fille).
« Alor mukhasree tumi nirmal ananda
Panke jeno nilotpal hesechhe durjoge;
Raktasnata hridayer durarogya roge
Je tumi santir sparsha chandaner gandha . »
(Alor Mukhashree Tumi :Ton visage
rayonnant de beauté; s.1v.1-4)
(Ton visage resplendit de beauté et de pure joie. On dirait qu’un lotus bleu sourit dans la boue des calamités. Dans la maladie fatale d’un cœur baigné de sang, tu apportes la caresse de ta paix, le parfum de ton bois de santal).

Ces vers nous rappellent ‘Hymne’ de Baudelaire :
« À la très-chère, à la très-belle,
Qui remplit mon cœur de clarté,
... ... ...
Sachet toujours frais qui parfume
L’atmosphère d’un cher réduit,
... ... ...
À la très-bonne, à la très-belle
Qui fait ma joie et ma santé,... »
(Hymne, s.1,v.1-2; s.3,v.1-2; s.5,v.1-2)

Pour Birendra Chattopadhyay la mort se présente comme un ami [voir, ‘Klanti, Klanti’(Fatigue! ma fatigue)], comme le visage d’une amante :
«….Maranto aparup bhorer aswasti,
Tomar mukher mato juni phul ; …. »
(Anya Desh : Autre Pays ; s.1,v.1-4)
(La mort est comme le frisson d’une aurore merveilleuse, fleur de jasmin semblable à ton visage).

Elle est aimée comme la femme de Baudelaire ‘nettoyant notre mépris, essuyant notre fatigue’. La lecture des poèmes ‘Swadesh’(Pays natal) et ‘Romain Rolland : Manusher Nam’ (Nom d’homme) nous font penser par leur forme, au ‘Spleen de Paris’. Son usage des symboles et des mythes, son imagerie, comme ci-dessous celles du grand épique Mahabharata, sont aussi de type très baudelairien :
« Utsob pataka orhe Hasthinay. Tabu ghare ghare
Gan bandha. Gandharir shata chhele urhe gechhe jharhe.»
The city that was Berlin : Le Cité qui
était Berlin ; v.1-2)
(Dans la capitale, on a hissé les drapeaux de fête! Pourtant dans toutes les demeures, pas de chants! Les cent fils de la mère des vaincus (Gandhari) ont été emportés dans la tempête! )...


Manindra Roy

Manindra Roy (1913) un des célèbres poètes de la quatrième décade, né en 1913, composa plus de trente recueils de poèmes à partir de 1936. Parmi eux, ‘Trisanku’ (Indécis, 1939 ), ‘Mukher Mela’ ( Foire de visages, 1959), ‘Vietnam : Ei Janma, Janmabhumi’ ( Vietnam, cette vie, pays natal, 1969 ), ‘Mathay Jarano Jalpai Pallab’ (Le Tête couronnée de feuilles d’olivier,1984 ), sont les plus célèbres. Il y est inspiré aussi bien par la vie urbaine que rurale.

Dans le poème suivant on retrouve une conception baudelairienne de l’amour :
« Tomar dehake ami chhui;
Tomar staner opar hat rakhai —
Krisaker hat sparsa kare jaman tar dhaner shis.
Tabu jatabar jahaj bhasai tomar upakuler dike,
Charidike shudhu jale doba agnigirir garjan,
Ar ghurni ar mrityu
Kothay amar mati, amar ashroy, amar swapna!
Ei shunyata amay prahar kore. »
( Amake Jagte Dao : Réveillez-moi, s.2, v.1-8)
(Je touche ton corps, je place mes mains sur tes seins, comme les mains du paysan palpe les épis des tiges de riz. Pourtant chaque fois que je fais glisser mon vaisseau vers ton rivage, je n’entends que le rugissement de volcans engloutis sous les eaux, des tornades et de la mort! Où est ma terre, mon refuge, mon rêve! Ce néant me frappe au visage).
Voir aussi à ce sujet les poèmes ‘Ratri O Reba’ (La Nuit et la jeune Reba), ‘Ebar Bhurur Madhye Eso’ (Cette fois, reprends ta place entre mes sourcils), ‘Charhuier Prati’ (Au petit moineau), ‘Abar Shristrir Kendre’(Retour au cœur de la création).

Dans le poème ‘Mukti’( Libération), c’est le spleen baudelairien qui s’exprime :
« Charidike shudhu aj tikshna hahakar,
Sandhar durta apaghat.
Dibaser uttejana rajanir galita bishad,
Jibaner ai upahar. » (Mukti ,s.2, v.1-4)
(Aujourd’hui de tous côtés on n’entend que des cris aigus de douleur, les attaques sournoises du doute. L’excitation de la journée, la tristesse visqueuse de la nuit, c’est tout ce que la vie offre).
Voir aussi les poèmes ‘Sai Lokta’ (Cet homme), ‘Prithibi Amar Pritha’ (Mon univers comme une mère impuissante —Pritha, mère des cinq héros du Mahabharata), ‘Hoke Na Se Shoytan’(Même s’il est Satan), ‘Adbhut Mukhosh Juddhe’ (Etrange conflit voilé).
Il est donc clair que Monindra Roy porte des traces d’influence baudelairienne qui lui sont venues par Eliot et Yeats et ses prédécesseurs tels que Jibanananda, Sudhindranath, Buddhadev Bose...

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